Le soleil va se lever en face, on dirait. Il a déjà envoyé flotter un drap rose dans l'azur qui s'éclaire. La lune s'attarde juste au-dessus de lui, le dos tourné délicatement dans sa barque fine. Elle serait bien avisée de prendre le large, mais préfère se laisser fondre discrètement comme un bonbon ou plutôt une brioche dans la bouche bleue du jour.
Un matin gourmand s'annonce, bientôt fruité et criant d'oiseaux.
Le monde s'anime comme au premier jour. Et c'est toujours le premier jour pour quelqu'un. Mais le dire c'est en être loin, c'est le voir qui s'emplit, jour après jour, qui écarte ses bornes et élargit toutes ses dimensions, accueille de façon exponentielle, comme un grand incendie de vies et de morts.
Bleu, vert, jaune, partout où l'on se tourne, où l'on se met en chemin, rouge, noir, dans les mille nuances du temps. Les peintres entrent dans la couleur. Tout dévore. Tout chante et tout se tait. Rien ne s'arrête.
Le ciel s'est empli d'oiseaux. À la place du croissant de lune, au-dessus du pin noir, c'est maintenant le soleil, éclatant, qui excède le regard.
Peinture Mark Rothko, 1952