samedi 29 avril 2023

journal

 La nuit s'est refusée. Je me suis couché comme d'habitude, endormi sur ma lecture quelques minutes. C'est ensuite qu'elle m'a refusé l'entrée – sans explication. J'étais étonné la nuit précédente d'avoir tant rêvé, de m'être souvenu de tant de rêves...
Cette fois le corps ne trouvait pas le repos. Les mots le tourmentaient, les questions en cours insistaient, les réponses tardaient à apparaître, à se clarifier – tout de même j'en entrevoyais, j'en saisissais le fil – des belles questions – des vieilles questions – qui trouvaient leurs mots, qui entraient en matière du corps, aspiraient à l'âme, y parvenaient même pour certaines, qui avaient travaillé dans le jour...
Et puis la nuit se manifesta, par des roulements de tonnerre, très lents, lourds et continus, comme un train, un avion, un véhicule inconnu gigantesque et résonnant. Je finis pas percevoir des éclairs, mais pas de pluie, il restait contenu, il transpirait bruyamment. Et bientôt il cessa. C'est alors que je me sentis pleinement réveillé, et même rassuré, capable d'écrire – d'écrire cette forme de journal, de simple compte-rendu – dont je sais qu'il n'est pas destiné à être lu – d'être écrit est sa seule utilité, comme un témoignage dont personne (sauf le temps) n'aura jamais besoin.

Peinture de Georges Braque

jeudi 20 avril 2023

main

L'homme est un redoutable manipulateur.
Pianiste, potier, agriculteur, éleveur, dompteur, constructeur, ses mains passent partout, attrapent tout, s'emparent de tout, jouent de tout, de lui-même, de son corps, de ceux des autres, et quand il n'a pas assez de ses mains il s'en fabrique d'autres, outils, machines, il s'en invente d'autres, se crée des doigts, des doigts-calculs, des doigts-bâtons, bâtonnets, se crée des yeux plus petits que ses yeux, plus grands que ses yeux, et il mange, le gourmand, il mange plus qu'il n'en faut, plus qu'il n'en peut, il mange tout, il aura tout dégusté, et tout dévoré.
Il le sait depuis longtemps qu'il peut compter sur sa main, qu'il peut compter sur ses doigts.
Il a tout en mains, et il le sait, il a tout réinventé à sa main, l'esprit d'un dieu planant sur les eaux, les circuits géants des petites billes élémentaires, il va fondre des étoiles, le vieux forgeron, il sait tout faire, il ira loin, on dirait un cheval savant monté par un cavalier fou.
Mais plus en dirait la main qui caresse...

Photo grotte Chauvet

lundi 17 avril 2023

voir

 Laura l'a trouvée belle, la terre du champ labouré. C'est vrai, le temps humide et frais de ces derniers jours lui maintient une couleur sombre, une densité, comme une épaisse promesse ; ce sont là nos désirs, nos souvenirs d'une culture scolaire et paysanne que nous projetons, mais nous avons des doutes, est-ce bien encore d'actualité, est-ce bien une symbolique encore adaptée à nos jours, nos jours présents et futurs... cette terre labourée, nue et exposée, défaite comme une viande, traitée, soumise, exploitée, coupée, tranchée pour les exploits, non des chevaliers armés de sabots ferrés, mais des exploitants économiques équipés de machines infernales... mais le monde n'est plus à la campagne, avec ses fermes et ses clochers, ses fleurs, ses animaux de toutes sortes, ses mares, ses oiseaux, sa misère. Ce champ que nous admirons, qu'est-ce que c'est... que savons-nous voir ?

La danse, 1906, huile sur toile, André Derain