jeudi 4 mai 2023

conte

 Fabienne et le pinceau magique

Il y a un grand arbre dans la forêt : c'est l'arbre du pinceau magique. C'est aussi l'arbre des trente-six lunes de la mésange, du cabriolet retardé, des bottes du père François, de la grosse tête de fromage. L'arbre de la connaissance, c'est lui aussi, l'arbre enchanté, l'arbre aux quarante pies, l'arbyrinthe, l'arbrousse, l'arbrosse et la robe de fée, c'est toujours lui, l'arbre aux berceaux, l'arbre digne d'abriter les collerets, l'arbre gracieux, le maître de musique, le maître à danser, tout cela c'est encore lui. Il a bien d'autres noms encore, et bien d'autres histoires dans ses feuilles et dans ses tromblons – comme on l'apprendra dans le cache-tromblons. Mais pour commencer, il faut aller à la rencontre de l'arbre au pinceau magique.
Ce matin-là, la table était mise devant l'arbre et quelques moineaux voletaient autour avec des piaillements gourmands qu'on entendait dans tout le quartier et qui réveillaient les pioupious qui ouvraient un œil, poussaient leurs volets et sautaient de leur branche – certains pour la première fois – et venaient déjeuner comme dans un film de Walt Disney en mettant leur petite serviette autour du cou – Mais non, je plaisantais, dit le pinceau magique et il efface tout d'un coup de blanc et disparaît lui-même. Un instant tout est silencieux.
Il réapparaît, tout droit, bien vertical comme une tige de roseau avec une grosse tête en bas, gorgée d'encre noire comme un jabot de bergeronnette et, en silence, il fait un petit pas de danse, puis un autre, et se retire laissant derrière lui des oiseaux qui se posent, tout luisants de noir et blanc, étonnés, et s'envolent aussitôt. Voyant cela du sommet de la grue, Fabienne coupe le contact, extrait ses mains des deux énormes gants dans lesquels elles étaient engagées, relève son casque et actionne la télécommande qui descend lentement la cabine jusqu'au sol. Elle n'en revient pas. Elle pense que son imagination lui joue des tours, que la fatigue nerveuse que représente le travail de ces derniers jours (ou peut-être même de ces dernières années) à mettre en place ce dispositif énorme de peinture robotisée lui provoque des hallucinations, elle veut constater sur place ce qu'il en est en descendant sur la surface géante de carton blanc posée au pied de l'arbre, elle a bien vu les deux oiseaux calligraphiés qui s'envolaient mais... sa surprise est énorme de voir sur la surface blanche le dessin des petits bâtonnets noirs qui sont l'empreinte caractéristique des pattes de deux oiseaux. L'encre est encore fraîche et luisante, elle cherche des yeux un outil pour percer ce papier fort et découper un large morceau autour des empreintes mais l'encre pendant ce temps sèche rapidement en se retirant comme l'eau sur les plumes du canard et quand elle se retourne il n'y a plus rien à voir.

Photo Alain Gérardot-Paveglio