mercredi 7 juin 2023

héros

Le cèdre est musculeux.
C'est aujourd'hui qu'il m'apparaît ainsi. Il montre ses muscles comme jamais. Ce sont d'épais vaisseaux, des torses gorgés de force, des bras chaleureux.
C'est tout un corps qui monte en dansant de toutes ses hanches, de ses côtes et de ses cuisses, de sa peau de serpent caressante et pulpeuse, nonchalant, versatile, rieur, il atteint tous les extrêmes, avec les petits plumets des feuilles vertes qui chatouillent le ciel comme une fontaine de caresses. Je l'aime comme le navire de tous les océans, cinglant autour du globe. Il me maintient le cap. Il m'accueille en voyageur minuscule parmi les oiseaux qui glissent sous les voiles de ses plumes vertes, grises, poumons de vie.

Ce cèdre avait eu plusieurs de ses énormes branches cassées par le poids de la neige il y a plusieurs années. À son sommet le gris raclé, maintenant estompé, d'une grande omoplate à cru soutient le bras qui continue, chemise ouverte, moignons sur la poitrine coupés franc, bien ronds, qui continue manche pendante comme l'écrivain ou le peintre, amputé, à créer, d'autant que tout autour de son unique jambe, triomphante, des membres vigoureux se regarnissent, reconstruisent, rhabillent lentement le puissant héros.
Je me gave de l'admirer.
Et plus encore, très en profondeur, je suis intimement identifié à lui. En écrivant, en parcourant, plus petit qu'une fourmi, le papier, je sens notre commune – comment dire – faiblesse, le plus faible, avec Pascal, avec Georges Braque, avec Blaise Cendrars, avec Jacques Prévert parlant du micocoulier dans la cour de l'asile des vieillards à Antibes,
Hé oui c'est un micocoulier
dit un vieillard assis sur un banc de pierre
contre un mur de pierre
et sa voix est doucement bercée par le soleil d'hiver
Micocoulier
ce nom d'arbre roucoule dans la voix usée
Et il est millénaire
ajoute le vieil homme en toute simplicité
beaucoup plus vieux que moi mais tellement plus jeune encore
millénaire et toujours vert
Et dans la voix de l'apprenti centenaire
il y a un peu d'envie
beaucoup d'admiration
une grande détresse
et une immense fraîcheur.

Peinture de Lucas Cranach, Hercule et Antée vers 1520-30


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