Le Jacques sort de sa cabane. Il est déguisé en oiseau, un gros jabot rouge épanoui à son cou décharné – semblable au torchon rouge que les petits pâtissiers de Soutine triturent dans leurs mains –, au sommet de sa tête une crête du même rouge gorgé de sang retombe sur elle-même telle une vague bien lissée haletant comme une langue à chaque pas. Sa tête dressée pivote de droite et de gauche, plonge et remonte comme celle de ces zanni de commedia dell'arte. Avec ça une redingote en charpie et une grosse queue d'oie ébouriffée. Il s'en va tâter l'eau du bout de la patte, qu'il a bottée de caoutchouc comme pour l'affût aux canards. Il reste un long moment la patte en l'air, et puis retourne à la cabane se changer.
Je me cache. Pour poser discrètement culotte, en sauvage, observant la ville de loin, sans entendre sa rumeur. La rivière est assez large pour nous isoler – il y a d'ailleurs, pas très loin, un encadrement à tableau, vide et planté sur un poteau de bois à hauteur de photographie pour tirer le cliché du Pont Vieux avec enfilade de bâtisses sur le quai opposé, collégiale profilée au milieu dans sa grande silhouette d'un autre âge. Mais le piège est voyant.
Le panneau signifie simplement : Ici rien n'est représenté, la rivière, la berge et ses habitants, tout est présent, tout est déjà passé, tout est déjà futur. Quand tu parles, le son de ta voix est inconnu.
Jacques est ressorti, trottant sous une pelisse de chaume noirci, furetant alentour, humant jusqu'à moi et me fixant du bleu-gris pâle de ses yeux. Aucun son ne sort de nos bouches mais l'échange se fait : un long transbordement qui nous ébranle intérieurement et que nous subissons tous deux quelques secondes avant de nous éloigner.
Dessin d’Édouard Vuillard, 1892
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