Les petits bouts de dialogue que nous avons, monsieur Nuit et moi, sont aussi furtifs que les rendez-vous des moineaux. Imprévus mais venant à point. Comme si on avait disposé toutes les pièces du jeu — les arbres, la couleur du ciel, le souffle de l'air, l'ombre du nuage — pour ce bref événement, cette soudaine magie : monsieur Nuit et moi nous sommes des oiseaux parmi les oiseaux, ailes ouvertes dans l’immensité. Aussi bref que ce soit, cela nous débarrasse de la durée. Je mesure là l'art de monsieur Nuit ; c'est lui, toujours, qui disparaît le premier. Il se sait impromptu, éphémère, disparate. Il est un visiteur dans le jour, un cri de geai dans la forêt, un parfum d'arbre ou de fleur. Monsieur Nuit n'est monsieur que pour moi.
Je l'ai cassé comme un jouet.
Je le remonte, je le recolle, je l'articule. Monsieur Nuit est un violon, une poupée. Monsieur Nuit m'a laissé son sac et tout y est, dedans.
À l’heure de midi, un cyprès merveilleusement noir, soleil au vert mêlé – où affleure comme un jaune forestier – , se tient dans le bleu du ciel qui l’entoure de ses bras et le troue de grands yeux et de lacs, quand une large mouette tranquille passe au-dessus de nous, inattendue, blanche et marquée de noir au bout des ailes.
Soutine, Petite fille à la poupée, 1919
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