vendredi 21 juillet 2023

maison

 L'eau est tellement chaude, l'eau est tellement boueuse que je plonge dedans. Aussitôt j'ai des serpents qui me lacèrent, mollement, des lanières, des lianes qui me lèchent. Mes gestes sont faciles, je ne résiste plus, ce sont des épousailles. Je les entraîne où elles m'entraînent, nos veines, nos lierres liés, veinés, jointoyés, nos sangs ajustés en température... Le courant soudain fort devient glacial et je vais buter contre une roche, ma tête écrasée.
Je suis mort, je disloqué. Je s'en va, disparaît de la page en une dizaine de mètres, mais une nouvelle force est libérée avec sa mort. Mes habitants sortis de geôle, balancés dans la vallée, charriée ma peine, déversée comme m'avait montré autrefois la vieille riveraine, la vieille sorcière qui tenait les ordures dans son tablier, les restes de combats, de guerres, de défaites et d'ambitions. Jetait le tout à la rivière, en digestion souveraine. Place aux enfantements, disait-elle dans son geste, que j'entends maintenant que pousse ma langue, nourrie de la sienne et des autres après ce baiser, ce passage à l'envers. Et le temps est remonté, comme faisait ce vieux geste mon père tournant la clé du réveil, la vieille mécanique au bruit obsédant pour l'enfant, qui ne savait pas dormir, ne savait pas encore quitter la maison pour aller en construire d'autres, les faire champs d'amour et de bataille, les maisons disparaissant avec eux, quand le jour emporte la nuit, le laissant nomade, comme au commencement.

Peinture de Chaïm Soutine

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